Cet après-midi-là, l’air détaché de tout, il avance sa silhouette trapue dans la salle 2.13 du palais de justice de Paris. Il pose son chapeau sur un banc, s’assied, croise les jambes dans le mouvement de celui qui ne craint rien. Il échange quelques mots avec ses avocats, jette un coup d’œil vers les bancs du public, où traînent quelques journalistes. Tout a été fait pourtant pour que rien ne transpire de cette audience du 11 décembre 2018,Nombreux sont ceux qui, dans les arts, le spectacle ou la politique, cherchent le soutien de ce milliardaire. Enquête sur un businessman très secret.
Marc Ladreit de Lacharrière, ce richissime businessman qui a contribué malgré lui au crash du candidat de la droite à la présidentielle de 2017. Le propriétaire de la Revue des Deux Mondes qui a rémunéré Penelope Fillon de mai 2012 à décembre 2013. Lui, le discret, déteste être là. Ça se sent, ça se voit, sous son apparente décontraction. Une cravate trop souvent resserrée, des regards inquiets, la recherche de l’approbation de ses conseils.
En échange, il s’épargne un procès en bonne et due forme et la médiatisation qui, inévitablement, l’accompagnerait. Et préserve sa légion d’honneur en obtenant la non-inscription de la condamnation à son casier judiciaire.
Une fois l’audience terminée, il glisse, bravache, à L’Express : « C’est amusant : d’habitude les gens sont condamnés pour avoir pris de l’argent. Moi, je le suis pour avoir versé une rémunération excessive.Marc Ladreit de Lacharrière, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations, a constitué son premier réseau à l’ENA. 1968, promo Robespierre. Il y rencontre Philippe Séguin, Jacques Attali, Michel Boyon (Radio France, CSA) ou Louis Schweitzer, futur directeur du cabinet de Laurent Fabius (notamment à Matignon) et patron de Renault. Plus tard, il acquiert la Revue des Deux Mondes…et ses traditionnels dîners-débats.
La proximité de Marc Ladreit de Lacharrière avec Jacques Chirac n’est un secret pour personne. Les arts premiers, la politique les ont rassemblés. Mais c’est avec François Hollande que le milliardaire s’est le plus affiché, au cours de dîners d’honneur à l’Élysée, de remises de prix dans les salons du Château ou de tournoi d’improvisation en présence de Jamel Debbouze. Qu’est-ce qui attire Marc Ladreit de Lacharrière, 3,4 milliards d’euros de fortune selon le dernier classement de Challenges, chez un socialiste qui s’était autoproclamé ennemi de la finance pendant la campagne de 2012 ,Une volonté d’influence existe aussi, sans doute. Il est difficile, pour un élu, de résister à un homme capable de faire venir le ban et l’arrière-ban du monde politique à un événement.
La fréquentation des politiques lui permet de faire avancer ses idées. Marc Ladreit de Lacharrière est un adepte du libéralisme et ne s’en cache pas. A la manière des philanthropes américains, il défend l’efficacité de l’entreprise contre celle de l’État. Lorsque, en 2008, l’Agence France-Muséums est créée pour favoriser le lancement du Louvre Abou Dhabi, il plaide pour qu’elle prenne la forme d’une société de droit privé et non d’une agence publique.
Il lui arrive aussi de défendre directement ses intérêts. Début 2015, Marc Ladreit de Lacharrière apprend qu’Orange est en train de vendre sa plateforme de diffusion de vidéos Dailymotion à un groupe chinois. Il est furieux. Il aimerait l’acheter dans le cadre de sa diversification dans le numérique. Il en glisse deux mots à François Hollande.
Le 22 novembre dernier, le bas des Champs-Elysées bruit de murmures mondains. Après cinq ans et 20 millions d’euros de travaux, le théâtre Marigny rouvre ses portes. Marc Ladreit de Lacharrière, propriétaire du lieu, monte sur scène pour dire son « immense bonheur …d’avoir permis la restauration de ce joyau ».Mieux que quiconque, l’homme sait utiliser la culture pour favoriser ses affaires et faire oublier qu’il est un businessman. Et personne ne souhaite vraiment parler des affaires de Marc Ladreit de Lacharrière. Tout juste nous lâche-t-on que « les artistes et les politiques qui le fréquentent disent que c’est un homme formidable; les hommes d’affaires, que c’est un requin ». Un autre nous supplie de ne surtout rien dire de ses relations avec le groupe de peur d’avoir des ennuis. Un dernier a ce mot lapidaire.
Demander des détails ne mène à rien. Sinon à un sourire entendu, à un silence. Peut-être est-ce à cela que l’on reconnaît la véritable influence de Marc Ladreit de Lacharrière. Au silence qu’il inspire.
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